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Francine Bigoni aime les textures, les matériaux. Elle les taille, les étire, les défroisse, les effrange, les effiloche, les entrecroise, les tresse. Pendant des années elle a peint.

 

Quelque chose lui manquait : le relief, les mailles, l’infinie variété des matières à manipuler et assembler. La possibilité de tresser sur un châssis des lanières d’un vieux jeans, de laisser pendre deux mètres de franges écrues en dessous d’un tableau pour lui faire comme une traîne. Elle continue de faire des toiles, mais sans plus rien peindre : en tressant des bandes de tissu, en nichant au milieu de la trame des objets qui viennent la colorer et la charger d’étrangeté. Textiles, morceaux de bois, perles, boutons de chemise, coquillages, cornes, plumes, cordes, filets de pêche, poupées africaines, chasse-mouches, défenses de phacochère, elle s’empare de la moindre trouvaille et la réinvestit.

 

En entrant dans son atelier on découvre un monde animal, laineux, fascinant. Les couleurs sont tantôt douces, tendres, presque pastel – c’est la « période blanche » –, tantôt plus violentes et contrastées – c’est la période noire. La poésie des assemblages évoque l’Afrique et l’Océanie : on croit deviner ici le front barbu d’un gnou, là les plumes d’un bouclier océanien, ailleurs encore un reliquaire vaudou, un vêtement papou. Francine Bigoni suit son intuition, tâtonne, bricole, laisse le jeu des tissus la surprendre, n’hésite pas à mettre de côté une toile pendant des semaines avant de la reprendre avec des yeux neufs.

 

C’est sans doute ce qui fait la personnalité si forte de ses oeuvres: un caractère fait à la fois de fantaisie et d’équilibre, de géométrie discrète, de sérénité - d’humour aussi. On regarde ses toiles comme les talismans d’un peuple inconnu, chargés d’autant d’histoires que de bandes de tissu et de nœuds ou de coquillages. On voudrait les toucher, plonger les mains dans leurs franges, les priser comme des étoffes. Singulier mariage du tableau et du métier à tisser.  

SYLVAIN PRUDHOMME

Après 15 ans de peinture voici les tissages proches de l'abstraction. Somptuosité de certaines œuvres minimalistes et d'autres recherches de mise en valeur d'un objet insolite intégré dans un tissage comme une araignée dans sa toile capturant le regard pour notre plus grand bonheur.

JOSETTE VAUDOU

Voici dix ans que l'artiste Francine Bigoni n'a rien exposé. Identifiée avant tout pour ses toiles après vingt ans de production picturale, tout ce qu'elle a créé ces quinze dernières années en sculpture, notamment textile, et, tout récemment, en terre cuite, -serait-ce là une "troisième phase" qui s'amorce ? -, n'a jamais été présenté.

 

A la découverte de ces travaux inédits, le visiteur pénètre un univers très tribal, provenant en effet de voyages, à la fois dans les matériaux utilisés et dans sa puissance onirique, la forme et le fond. Eminemment glaneuse et gourmande d'incongruité, Francine Bigoni a récolté au fil de ses périples dans le monde entier des myriades de pépites éclectiques, comme autant d'ingrédients et de saveurs d'ailleurs pour en induire des recettes en les hybridant avec des matières premières d'ici.

Recréant et rescénarisant des objets tout aussi romanesques que concrets, elle détourne cornes de phacochère, coquillages, dont ce récurent cauris, qui a longtemps fait office de monnaie d'échange en Afrique, peu ou prou devenu son emblème ou marque de fabrique dans ses oeuvres sculpturales, du bois flotté, autant de souvenirs-matière évocateurs d'autres cultures voire d'autres temps, dont elle casse l'exotisme et qu'elle contemporanéise en les confrontant à des matériaux occidentaux d'aujourd'hui : grillages, tissus, fil, toiles de peintres...

Elle les agence au fil des jours, bricole, s'ose à d'insolites mariages, interprète, réinjecte, insuffle, assemble : elle rêve ses objets d'art. Elle n'a pas d'intentions artistiques a priori, mais se laisse porter par ce qu'elle débusque ici et là et réinvente des ensembles à partir des trouvailles. Se refusant à produire un discours qui viendrait se plaquer sur son travail pour en souligner la démarche, Francine Bigoni ne dit rien de ses oeuvres sinon leurs histoires. Car elles n'ont pas d'objectif, mais un passé, une aventure multiple, et donc un récit. C'est là leur identité, et leur beauté : elles se racontent, bien plus qu'elles ne s'expliquent. Et c'est sans doute aussi pourquoi elles sont si vivantes. Elles ne sont pas à appréhender dans la projection, elles sont le fruit de son imagination ; elles palpitent, charnelles, donnant envie de toucher, d'écouter, de sentir. Ce qui compte, c'est leur origine et non leur direction. D'ailleurs, elle préfère les offrir que les vendre, à l'instar des objets chargés d'histoire, familiaux, ou encore précieux par leur symbolique, que l'on ne vendrait pour rien au monde mais qu'un jour l'on offre volontiers à un être cher. Comme des fétiches, comme des objets rituels, ses sculptures semblent drainer une portée anthropologique tout en contrastes, à la fois fantasmée et obsédante, spectrale et vivante, imaginaire et présente, personnelle et universelle.

MELANIE DROUERE

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